1911, 5 mai Occupation de Debdou

La Dépêche Algérienne
5 mai 1911

L’INTERVENTION FRANÇAISE AU MAROC
Occupation de Debdou
La colonne de Taourirt entre sans coup fèrir à Debdou.
Dans l’ouest marocain, les méhallas chériffennes s’avancent par échelons.
Les habitants de nombreux douars fuient devant elles


[…]

LA COLONNE DE TAOURIRT
(DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL)

Des troupes sont parties de Berguent et
d’autres de Taourirt pour surveiller
Debdou, dont l’occupation est
imminente

Le Marabout vénéré d’El-Ayoun Sidi Mellouk
[ Mauritania Magazine illustré 01-07-1911 ]



El-Aïoum-Sidi-Mellouk, 3 mai.

Vers le 30 avril, est parti de Berguent, sous le commandement du commandant de Tinan, une colonne composée de trois compagnies de la légion étrangère, dont la compagnie montée ; de trois compagnies de tirailleurs, d’une section d’artillerie de montagne et d’un escadron de spahis, allant dans la direction de Debdou.
D’autre part, est partie, hier, de Taourirt, une colonne comprenant de la cavalerie, de l’artillerie et de l’infanterie, vers Debdou.
Cette colonne rencontrera, aujourd’hui, à Foum-Bezous, la colonne partie le 30 de Berguent.
Ces forces sont destinées à surveiller Debdou, où elles pénétreront demain, suivant les circonstances.
De passage ici, le capitaine Bernard, du 2e tirailleurs, rejoignant isolément Taourirt.

Vieille histoire. — Une sanglante tragédie

J’ai pu m’entretenir avec le caïd Amada, héros d’une sanglante tragédie qui se déroula il y a 5 ans, dans la casbah de Mestlgmeur :
Le rogui lui ayant fait savoir qu’il désirait épouser une die ses filles, Amada s’inclina. A quelque temps de là, le rogui demanda à envoyer une ambassade chercher sa fiancée ; ceux-ci, tous des notables, vinrent au nombre die quinze ; le caïd les reçut royalement et, à l’issue du festin, il en fit décapiter quatorze et chargea le quinzième de rapporter les têtes à Bou-Amara.
Ce drame était connu, mais on ne savait quelle part faire à la légende.
On n’avait rien exagéré, m’affirme le caïd avec un doux sourire, en découvrant des dents très blanches.

Les généraux Girardot et Léré

Ces deux officiers généraux, ainsi que le colonel Bavouzet, sont partis, ce matin, d’El-Aïoun-Sidi-Mellouk,pour gagner Taourirt ; ils sont attendus à Mestigmeur, qui est à mi-chemin.

A Mestigmeur. — Passage de troupes se rendant à Taourirt

Mestigmeur, 4 mai, 7 h. matin

Je suis arrivé à Mestigmeur. Les trois batteries du 1er groupe de campagne sont arrivées où elles camperont et seront en route demain sur Taourirt.
De passage à Mestigmeur, plusieurs officiers, rejoignant isolément :
le capitaine Nautille ; les lieutenants Frede et Ranchin, du 1er étranger ;
les lieutenants Taillade et Lacolley, du 2e tirailleurs.
La garnison de Mestigmeur est commandée par le sous-lieutenant Dessiner, des spahis.
Je serai ce soir à Taourirt.



L’OCCUPATION DE DEBDOU

Nos troupes occupent Debdou sans coup férir
Taourirt, 4 mai, 1 h. 25 soir.
Un courrier vient de nous apprendre à l’instant que l’occupation de Debdou s’était effectuée ce matin, sans coup férir.
Cette opération, qui n’est que la réalisation des stipulations des accords franco- marocains de
1901-1902, compile l’œuvre entreprise depuis 1903, tout le long de la frontière algéro-marocaine.

L’heureux résultat obtenu est dû à la sage et méthodique préparation politique exercée sous la direction du haut commissaire, le général Toutée, continuateur de l’œuvre du général Lyautey, secondé sur place par M. Destailleurs, commissaire du gouvernement à Oudjda ; par le colonel Henrys, commandant des troupes do la légion du Nord, et par le lieutenant-colonel Féraud, commandant la police franco-marocaine des confins. On doit l’attribuer aussi à la présence à Taourirt de forces imposantes dont les mouvements ont vivement impressionné les populations marocaines, vérifiant, une fois de plus cette formule du général Lyautey : « Manifester la force pour en éviter l’emploi. »

Comment s’effectua cette opération. — Debdou est une oasis très cultivée

Taourirt, 4 mai, 5 h. 15, s.
On n’a pas encore de détails très complets sur l’entrée de nos troupes à Debdou qui, comme je vous l’ai télégraphié il y a quelques heures, a eu lieu ce matin.
Voici, cependant, quelques renseignements complémentaires :
L’opération avait été confiée à deux colonnes : l’une était partie ces jours derniers de Berguent, sur la frontière algéro- marocaine, à cent kilomètres à l’Est de Debdou ; elle était forte d’environ quinze cents hommes et placée sous les ordres du commandant de Tinan ; la marche s’est effectuée rapidement et sans incident.
La seconde colonne était partie de Taourirt, il y a deux jours. Elle comprenait de l’infanterie, de la cavalerie et de l’artillerie, soit, approximativement, 2.500 hommes. Le lieutenant-colonel Féraud, commandant la police militaire franco-marocaine, en avait pris la direction et le général Toutée, haut commissaire français, la suivait.
Selon les ordres donnés, les deux colonnes se sont rejointes ce matin au lever du jour, en avant de Debdou, et le lieutenant-colonel Féraud a pris le commandement de nos forces réunies.
Les troupes se sont alors dirigées sur Debdou.
D’après la description des lieux qui m’est faite par des gens ayant parcouru la région, le pays est très accidenté.
Debdou se trouve située au fond d’une vallée encaissée entre de hautes montagnes et longue de plusieurs kilomètres ; les pentes sont très boisées, les sources sont abondantes, de sorte que, grâce à l’eau courante, les environs de Debdou forment une superbe oasis très cultivée.
Debdou est un important centre de transaction ; c’est un grand marché en relation d’affaires constante avec Fez, avec le Tafilalet et même avec le Haouz ou région de Marrakech.

Maroc 1911 Debdou
Arrivée des Troupes françaises en Mai 1911



Notre petite armée s’est donc mise en marche pour faire son entrée dans Debdou. Elle n’a pas tardé à voir venir à son devant quelques marocains, des notables, assure-t-on, qui ont fait des démonstrations favorables. Puis sont apparus de nombreux juifs ; ceux-là, par exemple, auraient manifesté un véritable enthousiasme. Ils attendaient avec impatience, en effet, l’occupation française. On le comprendra, en se rappelant que, si les marocains de Debdou étaient divisés en çofs qui se livraient des combats sanglants, c’étaient les juifs qui, en fin de cause, payaient régulièrement les pots cassés ; car, après la bataille, les adversaires se réconciliaient en se précipitant sur le « mellah » (quartier juif), pour y piller les boutiques et les habitations et molester les malheureux juifs.
On me dit même qu’il y a deux jours à peine, le quartier juif et ses habitants se sont trouvés fort menacés : des coups, de fusil ont été tirés sur eux et c’est certainement l’approche des troupes françaises qui a empêché l’œuvre dévastatrice de s’accomplir. Ceci expliquerait, du reste, pourquoi les marocains perturbateurs ont quitté précipitamment la ville, par crainte de représailles.
La colonne française campe dans la vallée -de Debdou. La ville est formée par une succession d’agglomérations ou « ksours » entourés de jardins et de vergers. La tranquillité est, jusqu’ici, parfaite.

F. Beuscher.

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